Nîmes May 2015

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L’histoire des établissements supérieurs de formation des maîtres remonte, en France, au XVIIIe siècle, bien que l’on puisse considérer le nîmois François Guizot comme leur fondateur. Et la question de l’instruction publique est un sujet crucial, comme on le sait bien, dans la construction d’une communauté (nationale ou extra-nationale).

Le site de Nîmes de la faculté d’éducation de Montpellier (ex IUFM) occupe l’ancien bâtiment de l’Ecole normale primaire, rue Vincent Faïta. Cet établissement fut fondé en 1869, à la suite de la législature Guizot. En 1883 on créa aussi, rue Meynier de Salinelles, l’Ecole normale d’institutrices. C’est dans cette école que Marie Soboul, venue d’un village d’Ardèche, enseigna et fut ensuite directrice (de 1926 à 1940). Marie Soboul, licenciée par Vichy, affiliée à la résistance sous le nom de Valérie, hébergea dans sa maison du quartier de la Tour Magne les premières réunions du Comité de Libération.

Pour cette raison et pour d’autres vous verrez comment l’histoire du 62 rue Vincent Faïta résonne avec celle de la Résistance dans le Gard.

Comment rendre compte de l’histoire d’un lieu et du problème de l’instruction de manière non seulement documentaire mais aussi « artistique »?

Une « boîte » à documents . Les vingt-six mètres linéaires des murs de la salle d’exposition sont couverts, à hauteur de deux mètres, de textes agrandis et reproduits sur papier (soit, 52 mètres carrés par bandes de 90 cm de largeur). Ces textes (issus d’Internet et des archives départementales) sont présentés à l’état brut, sans correction, en police courier et en continu comme un télex. Des interventions à la main (en rouge fluo ou en marqueur jaune) soulignent certains passages ou donneront des intitulés aux panneaux. Les sources des documents sont toujours citées.

Des « paravents ». J’ai fait construire par le serrurier Laurent Rump cinq cadres métalliques sur roulettes, au format 190×190 cm. Ces cadres portent de grandes reproductions photographiques des lieux mêmes où ils sont installés (réfectoire, cour, salle des professeurs), mais les images datent de cent cinquante ans plus tôt. Elles sont reproduites sur un support translucide (papier calque pour les intérieurs et polyester pour les extérieurs). Cela donne des rideaux mouvants et une modulation des espaces.

Un rideau est en même temps un écran et une séparation, mais c’est aussi une transition, un passage spatial, dans ce cas-là, temporel. Par moments on aura, en rentrant dans une salle ou dans une cour, la sensation d’un déplacement dans le temps.

C’est ce déplacement qui devrait susciter en même temps une conscience historique et une émotion esthétique.

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with an article in the Midi libre

Nathalie Gallon, Eden, 2015

L’œuvre visuelle de Salvatore Puglia s’accompagne d’investigations sur les sources documentaires d’images, traces, sédiment, texte, bestiaire, qui oscillent entre l’ombre des paradis perdus et le purgatoire terrestre. Huit œuvres sur vingt-cinq inédites sont accrochées, issues des planches zoologiques du naturaliste français Georges Louis Leclerc de Buffon où l’artiste s’appuie sur les pétroglyphes préhistoriques. Il remonte loin dans le temps et accumule, superpose des cartes d’état-major, texte de Walter Benjamin, en extrait les animaux cousus en rouge sur support papier recouvert parfois de silicone. En artiste détective, cet ancien historien s’élève au-dessus de la fourmilière humaine afin d’en améliorer la vision, pour aborder de front toutes les données, de penser à comprendre le rapport des choses entre elles. Buffon observait la nature parfois riante ou terrible, offrant méditations ou retraites réflexives, sous la menace d’engloutissement par les antiques révolutions du globe : c’est le cas avec From Pompéi lorsque l’éruption du Vésuve en 79 avant J.-C, —torrents de boue, cendre et lave—-, a stoppé le temps et enfermé corps humains et ossements d’animaux dans une gangue, plus tard transfusée de ciment pour obtenir un moulage. « Ce fut la nuit comme dans un espace clos, toutes lumières éteintes », écrivait Pline le Jeune à son oncle.

Télescopage du temps : rappelez-vous des chiens errants à Pompéi en 2012, chiens oisifs et paisibles qui hantaient l’ancienne ville antique, symbole d’un abandon d’ordre politique?

Tout comme Buffon, avec ses miroirs plans, Salvatore Puglia utilise aussi le verre sur lequel il grave des textes, indices autobiographiques et le miroir. Il s’est arraché au joug de l’autorité instrumentalisée d’une certaine idée de l’Histoire pour parcourir l’univers, où sur ses traces, l’homme apparaît toujours en arrière fond. Avec quel plaisir on le suit à travers ses correspondances ! L’œil parvient à saisir les combinaisons proposées jusqu’à saisir d’un seul coup d’œil, le pan d’un vaste horizon. Du coup, on reconstruit nous-mêmes et à l’intérieur de soi, nos images intimes, sous forme de combine-painting mentales. Avec quelle curiosité, on observe chaque détail inscrit, réfléchissant sur le verre, par la transparence opaque de la silicone et sur des photographies… Avant d’écrire l’histoire de chaque espèce d’animaux, Buffon a porté ses recherches sur les qualités communes à toutes et il essaya de répondre à la question suivante : «Les animaux sont-ils différents de l’homme, de par leur faculté intellectuelle ? » Salvatore Puglia introduit des paradoxes à prouver ou à combattre les règles générales d’une science, et en même temps, il déroute car il n’est pas dans la séduction mais dans une mise en lumière, de la liaison entretenue par l’homme avec l’histoire, en y mêlant imaginaire et la couleur rouge, tout en multipliant les nuances, ou en reproduisant des animaux, par exemple, une élégante girafe, un éléphant, la puissante une chauve- souris. L’artiste fait mouche. Ce sont toujours des éléments de la nature qu’il juxtapose, nature physique et spirituelle, entourés par des phénomènes de l’univers, laissant au regardeur le soin de méditer. Sans lassitude. Intelligiblement.

Salvatore Puglia est représenté par la galerie Sit Down qui va exposer des travaux inédits en juillet 2015 à la galerie Huit, pendant les Rencontres d’Arles

Flair Galerie- 11 Rue de la Calade- Arles

Le jardin des monstres (2014)

A short movie (2′ 29″) by Gilbert Carsoux during the set up of the show at Sit down gallery.filmed

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Le jardin des monstres, texte de Laura Sérani, spécialiste de la photographie contemporaine.

L’attirance de Salvatore Puglia pour les arts visuels a très vite rejoint le territoire de ses études et sa fréquentation de l’Histoire en tant que chercheur pour aboutir à une recherche basée sur le recours à l’image documentaire comme support d’interventions artistiques. Son travail implique une recherche permanente de sources qui deviennent objet de lectures évolutives, dans un processus où démarches historique et artistique sont toujours structurellement liées.

En mélangeant époques, faits historiques, textes classiques, mythologie et sciences sociales, Puglia propose de nouvelles perceptions du passé et du présent. Les titres de ses travaux, Ritratto dell’artista da figliuol prodigo, Six leçons de drapé, Anabasis, L’art de la guerre, Les âmes du Purgatoire, Les préoccupations du père de famille,… donnent le ton de son oeuvre, originale, subtile et engagée.

Un pas en arrière :  fin des années 1970 en Italie, lentement ou précipitamment se dessinait l’avenir de notre génération, pendant que l’espoir de transformer le monde s’estompait et le choix des chemins personnels se définissait. Comme autant de matérialisation de désirs et d’intérêts différents, cohabitaient sur la table, piles de feuilles remplies à l’Olivetti Lettera 22, pinceaux et couleurs destinés aussi bien aux abstractions à la Miro’ que Salvatore dessinait sur des cartons longs et étroits, anticipation du format panoramique affectionné plus tard , qu’aux aquarelles insipides que d’autres peignaient, tout en découvrant Tina Modotti, synthèse d’art et de politique et en apprivoisant le premier Nikkormat qui a gardé la mémoire de ces moments.

En 1980, fini l’été romain et les traversées de la ville en Lambretta, Salvatore Puglia a commencé à alterner les voyages à travers l’Europe et les séjours de plus en plus longs à Paris. Les premières années parisiennes, vécues dans une atmosphère post-bohème et denses de rencontres rue de Condé, seront celles du virage définitif vers un parcours totalement dédié à la pratique artistique, sans hésitations ni concessions, mais où l’Histoire devait rester toujours présente, dans une symbiose qui caractérisera tous ses travaux jusqu’à aujourd’hui.

Depuis 1986 Salvatore Puglia se consacre aux arts visuels et vit actuellement dans le sud de la France où la lumière rappelle celle de Rome où il a vécu jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans.

Il y a quelque temps Puglia écrivait à propos de sa démarche:

“Après avoir pratiqué pendant quelques années le montage de documents écrits et visuels, j’ai été naturellement amené à la tentative de cerner une “photographie de l’Histoire. Me limitant à considérer la photographie dans sa plus stricte fonction reproductrice, je l’utilise comme pièce à conviction, dans des ensembles à la structure sérielle, qui ne prétendent pas reconstruire un sens mais qui tentent de questionner notre manière de regarder le passé. Les images que je montre sont le plus souvent mutilées, réduites à des fragments qui ne permettent pas d’imaginer une unité qui les prolongerait; elles sont parfois brouillées par des couches superposées de documents graphiques ou iconographiques. Si la reproduction fonctionne comme un outil de conservation, cela va nécessairement de paire avec de la perte. L’image originaire étant de toute manière perdue, il reste les infinies possibilités de la recréer dans notre imaginaire.“

L’Histoire sociale ou familiale, les histoires d’inconnus ou des siens à travers les images des archives de la police et du docteur Charcot ou celles des albums de famille, ont commencé à habiter des surfaces mutantes en donnant corps parfois à des récits aux allures de labyrinthes où les seuls liens entre les images sont des indices autobiographiques.

Encres et laques, fils et aiguilles inventent et soulignent silhouettes et contours, perforent et imprègnent toile et papier-calque, s’étalent sur cire, plomb, céramique, verre et miroirs: autant de langages pour réécrire l’Histoire. Les recherches de Puglia s’expriment à travers des supports et outils différents en jouant la stratification, en allusion à celle de la mémoire et aux traces d’un passé toujours sous-jacent dans la représentation du présent. Les voyages et les influences sont permanents entre Histoire et Histoire de l’art mais aussi entre différentes pratiques, le dessin, le collage, l’incision, le moulage. La photographie au fil du temps est devenue déterminante et prédominante, que ce soit par la réappropriation d’images préexistantes ou la réalisation de nouvelles images, mais la photographie intéresse toujours Puglia en tant qu’élément documentaire, vecteur de mémoire, témoin de l’absence.

Sans limites dans l’exploration des champs cognitifs et des langages visuels et techniques, l’ensemble de l’œuvre de Puglia est aussi complexe et multiforme que cohérente et immédiatement reconnaissable. Des constructions savantes s’accompagnent souvent d’un trait incertain donnant vie à d’étranges contrastes entre la pensée élaborée qui préside au processus créatif et le recours à ce trait souvent volontairement maladroit. Ce trait incertain, avec lequel Puglia dessine et brode des figures indéfinies qui évoquent des ombres ou les marques laissées sur les murs et les tapisseries par des objets disparus, ou avec lequel, d’une écriture tremblante, il retranscrit textes classiques, épitaphes et sonnets, est une constante dans son œuvre. Les certitudes du travail de chercheur semblent se confronter à une légitimité que Puglia ne voudrait toujours pas reconnaître au geste. De ce fragile déséquilibre naissent des œuvres d’une poésie vibrante.

Tel un spéléologue de la mémoire collective ou privée, Puglia revisite, méticuleusement et à sa façon, lieux et épisodes toujours inattendus. De ses fouilles émergent des reconstitutions intrigantes qui ouvrent d’autres perspectives d’investigation de l’Histoire et de nouvelles visions.

L’exposition Le jardin des monstres réunit des travaux récents axés autour des relations entre Histoire et nature, paysage et intervention humaine, relations variables au cours du temps. Le mot jardin, synonyme d’espace et de nature apprivoisée, contraste avec celui de monstre, figure par excellence de l’incapacité humaine à contrôler la nature et ses créatures. Le décor est planté et en avançant on peut s’attendre à toutes sortes de rencontres. Objet des récentes explorations de Puglia, des régions aujourd’hui difficilement accessibles et peu peuplées, comme la Tuscia au nord de Rome, parsemées de sites archéologiques abandonnés où les ruines recouvertes, de la Préhistoire à nos jours, gardent les traces de leurs fonctions successives : tombes étrusques, refuges de guerre ou bergeries. A tour de rôle, la végétation ou l’intervention humaine ont eu raison de l’autre. En introduisant sur ces lieux des objets étrangers et anachroniques, en forme de langues ou de feuilles en latex, aux couleurs fluorescentes, Puglia opère une nouvelle stratification de lexiques qui, tout en renvoyant à l’Histoire de l’art, trouble le rapport au temps et la vision romantique du paysage.

Dans ces images, désignées par Puglia, “Land Paintings“, on retrouve ses préoccupations d’investigation historique et ses dispositifs créatifs habituels. Mais la surprise est permanente pour ce qui concerne les lieux re-visités et la juxtaposition des éléments glissés ou cousus dans les images. Des animaux sauvages apparaissent dans une campagne domestiquée ; des traces incongrues d’un passage humain récent investissent des sites à la végétation impénétrables ou des espaces aseptisés. Une langue enduite de pigment rouge fluorescent, rend tout son pouvoir à l’Ogre de Bomarzo, un des monstres de ce parc, extravagance de la Renaissance et repaire de dragons, sphinx et demeures penchées. A partir de l’introduction in situ d’un élément qui une fois photographié donne vie à une œuvre à part entière, Puglia produit ce qu’il appelle une archéologie inversée en ajoutant de nouvelles stratifications à celles existantes.

Liée au paysage, la question du rupestre, au centre des réflexions de Puglia depuis un certain temps, est posée de façon différente par chaque pièce présente dans l’exposition, permettant de constituer une sorte du traité illustré du “rupestre“, dont ses mots introduisent bien le concept :

“Si “rupestre” est l’intervention de l’homme sur la nature, qui devient ainsi “œuvre” (les peintures, les sanctuaires, les rochers sculptés, les pierres gravées), un artefact humain peut aussi devenir rupestre, une fois qu’il est abandonné et que la nature reprend ses droits. Certainement, là où nature et Histoire se rencontrent, on est dans le rupestre. Que ce soit l’évanescence de l’Histoire face au retour de la nature, ou la défaite de la nature face à l’avancée de l’Histoire.“