La trentième année (2015)

Au début des années 80 je travaillais comme chercheur dans les archives historiques de Rome. Mais je m’y sentais à l’étroit et ma quête d’une vérité donnée périclitait déjà. Je piquais des petits bouts de papier dans les dossiers des XVIII et XIX siècle, souvent du papier brouillon qui avait servi à essuyer les plumes des scribes ; j’en faisais des collages et des aquarelles que j’envoyais à mon ami Rodolphe Burger, qui à l’époque enseignait la philosophie en Alsace. A mon insu, Rodolphe collectait ces travaux et, quand il estima en avoir assez, se mit à démarcher les galeries. Un jour de l’été 1985 il m’écrivit que j’allais avoir une exposition à la galerie ADEAS de Strasbourg.

Je pris un train (à l’époque il y avait encore des trains de nuit qui traversaient l’Europe) et arrivai à la gare de Strasbourg un matin très tot. Rodolphe m’attendait sur le quai , accompagné d’un autre grand type d’arien, Philippe Poirier. Ils m’accompagnèrent prendre le petit déjeuner dans le seul bistrot ouvert à six heures du matin, le Cafè Italia. Sur la porte vitrée, la vue d’une affiche me frappa comme un coup de poing : Salvatore Puglia, exposition, Falsapartenza.

Pendant une semaine Philippe, qui ne me connaissait pas auparavant, m’aida à monter cette première exposition, à l’issue de laquelle je pris le courage de quitter mon travail et mon pays pour aller voir si j’étais aussi “autre chose”.

Rodolphe et Philippe sont, avec les amis qui m’accueillirent à mon arrivée à Paris, les responsables de ma présence à Arles, comme artiste, en 2015. Tout ce que vous verrez dans cet Inventaire, c’est de leur faute.

Laura Serani, L’art de l’histoire, 2015

L‘Inventaire de Salvatore Puglia est un voyage dans le temps, un travelling en accéléré.

Un inventaire du réel et un inventaire des travaux d’un artiste qui collectionne des traces du passé et recourt à plusieurs langages pour donner forme à son imaginaire et à ses propos.

Historien, Salvatore Puglia a fait de l’histoire matière de création et, en partant de documents anciens aussi bien que de textes classiques, de photos d’archives ou d’albums de famille, il suit depuis des années un procédé de relecture « artistique » de l’histoire.

En élaborant mémoire collective et privée, Puglia poursuit une réflexion sur des thèmes tels que l’héritage culturel, l’évolution des questions identitaires ou celle de l’usage du paysage.

Dans ses images labyrinthes et dans les dernières interventions directes sur le paysage ou sur ses ouvres antérieures, il glisse souvent des indices du présent, pour une stratification de signes et de messages.

De Inventarium présenté ensemble en 1995 à Paris, à Inventaire, aujourd’hui à Arles, Salvatore Puglia n’a pas arrêté d’élargir le spectre de ses recherches autant par rapport aux sujets de ses investigations qu’aux supports utilisés. Une sélection de ses travaux de toutes sortes, réalisés ces derniers dix ans, dessinent ici un parcours qui s’articule dans et en fonction des espaces si particuliers de la merveilleuse maison galerie de Julia de Bierre.

Entre Wunderkammer et bureau de la propagande, un premier petit espace réunit ainsi un recueil important d’ « ex voto » enchâssés en plomb, de publications, des livres, des productions sur papier et des documents sonores. Une installation « L’art de la guerre » prêtée par l’ESPE de Nîmes, redessine la cour que l’on traverse pour rejoindre un troisième espace, aux allures de dépôt, où l’on retrouve encore des oeuvres, comme « accumulées » au fil du temps.

En dehors de toute classification et sans limites, ses travaux résultent d’une variété de langages, du dessin à la vidéo, et de techniques, du collage à la couture, où la contamination règne en permanence et participe du caractère « atypique » de son oeuvre.

Cette grande ouverture a porté aux rencontres les plus diverses, souvent à l’origine de collaborations, parfois ponctuelles, parfois suivies, avec des philosophes, des musiciens, des poètes.

Au même temps, des amitiés, comme celle avec Rodolphe Burger ont été rythmées, éclairées par des créations communes, depuis la pochette du Beggar’s Law jusqu’au nouvel album et à la lithographie de Rodolphe Burger & Philippe Poirier Play Kat Onoma, dont Salvatore a réalisé les dessins.

Avec Salvatore et Rodolphe à Arles nous nous sommes déjà retrouvés, les étés des années 80, quand avec nos amis italiens l’on se donnait rendez vous dans le sud de la France, puis avec Dernière Bande, le groupe de Rodolphe à l’époque, invité en 1985 à jouer pendant les Rencontres, avec la complicité confiante de François Hébel, tout jeune directeur du festival et celle, plus inquiète, de Maurice Rouquette qui avait accepté d’ouvrir au rock les portes du Musée Réattu.

Longtemps après, un nouveau rendez-vous cette année, avec Rodolphe au Théatre Antique et Salvatore à la Galerie Huit où Françoise Bornstein et sa galerie parisienne Sit Down, est une fois encore invitée à prendre ses quartiers d’été.

Et, dans l’exposition – à coté des oeuvres sur toile, verre et miroir – une sélection de vidéos-art ainsi que des dessins réalisés pour des publications, des livres et des disques, illustrant les étapes d’un parcours souvent partagé.

Laura Serani

Commissaire de l’exposition

Juin 2015