Ariane Chottin, Űber die Schädelnerven, 1993

“C’est ce chagrin réfléchi que j’ai l’intention d’évoquer et,
autant que possible, d’illustrer par quelques exemples.
Je les appelle des tracés d’ombres, pour rappeler par ce
nom que je les emprunte au coté sombre de la vie et
parce que, comme des tracés d’ombres, ils ne sont pas
spontanément visibles”
Sören Kierkegaard, Ou bien… ou bien, Gallimard 1943

Des stèles (Paris, juin 1992), aux leçons d’anatomies (Paris, avril 1992), jusqu’à son récent travail élaboré à partir de radiographies, l’œuvre de Salvatore Puglia est hantée par le mouvement de l’apparition et de la disparition. Il ensevelit et commémore, amoncelle les traces, les écritures, les images jusqu’à saturer la lisibilité du tableau tout en choisissant pour support des matières translucides. L’effet de transparence est ici encore accentué. par le dispositif de fixation murale: les sept portraits Űber die Schädelnerven sont présentés perpendiculairement au mur, chacun étant fixé sur un axe mobile, leur ombre réfléchie sur le mur.

Les sujets de ces portraits ont été photographiés à la fin du 19erne siècle ou au tout début du 20ème pour l’établissement des grandes typologies morphologiques (Bertillon, Charcot, Lombroso. Il s’agissait de décrire, de cerner, de démasquer la nature humaine, de la dévoiler toute.
L’image de ces hommes est soustraite à leur identité : toute marque individuelle est gommée. Ils sont là pour montrer tel relief particulier de leur visage ou de leur corps, sans rien laisser passer de leur être. Ils sont devenus, isolément, indéchiffrables.
Leur stupeur rappellent les toutes premières photos de famille ou de cérémonie et plus terriblement les photos de déportés de la dernière guerre mondiale. Comme eux, ces personnes ordinaires sont déportées d’elles-mêmes.

La série Űber die Schädelnerven est élaborée à partir de superpositions: radios, écritures et éléments graphiques. L’empilement de ces différentes couches enchâssées dans une. armature de fer laisse voir sept bustes d’hommes en une longue colonne déplacée du mur. S’effaçant l’un derrière l’autre sans tout à fait disparaître, ils offrent à qui vient les voir une procession grave de regards mats, de postures figées. Le dénuement de leurs attitudes est frappant: malgré les tracés d’ombre des écritures et des éléments graphiques qui les raturent, ils semblent porter sur eux un “chagrin réfléchi”.