A sea-change, 2024.

Sea-change est l’expression qui, depuis Shakespeare, indique en anglais un changement radical, un renversement de situation, une transformation profonde. Il y a quelques années j’ai entrepris une première série de travaux sur le sujet de la métamorphose, les monstres à visage humain de Ulisse Aldrovandi en étaient le support iconographique.

Shakespeare publia La Tempête en 1611, Aldrovandi était mort six ans plus tôt, bien avant la parution de son Historia Monstrorum (Bononiae 1642).

Parmi toutes les créatures plus ou moins fantastiques répertoriées par le naturaliste bolognais, j’ai choisi les monstres marins. Je les imaginais échoués sur les côtes, comme les bateaux des migrants en Méditerranée. J’aime aussi penser que le seul habitant de l’île où Prospero échoua, Caliban, mi-homme mi-poisson, pourrait bien être représenté par l’un des dessins du graveur d’Aldrovandi, Giovanni Battista Coriolano.

Je me posais la question si l’autre, l’étranger, l’anormal, était celui qui arrivait de mondes inconnus ou si dans le regard-même posé sur lui il n’y avait pas déjà quelque chose de monstrueux. Dans le fait même de désigner l’autre comme monstre, c’est le monstre en nous qui parle.

En septembre 2023, invité aux cérémonies de clôture des Rencontres méditerranéennes à Marseille, le pape Bergoglio disait comment cette mer méditerranée risquait de devenir une mer des morts : « Et puis il y a un cri de douleur qui résonne plus que tout autre, et qui transforme le mare nostrum en mare mortuum, la Méditerranée, berceau de la civilisation en tombeau de la dignité. C’est le cri étouffé des frères et sœurs migrants… »

Ces mêmes hommes d’État auxquels s’adressait le pape faisaient voter, le 19 décembre 2023, une loi contre l’immigration qui ne leur garantira même pas leur maintien au pouvoir.

Le changement de titre de ma série vient de la contingence historique : d’Histoire des monstres à Mostrum nostrum, “notre” monstre.

À l’hiver 2024 j’ai sillonné en voiture les côtes de la “Mer du milieu”, de Port Bou à Vietri sul Mare, au sud de Naples.
J’ai photographié des lieux que je connaissais déjà sous la lumière d’été. L’aspect de ces rivages est bien différent en hiver. Ils sont transformés par les tempêtes automnales, avec tous les débris et les épaves qui les couvrent et qui sont nettoyés à l’approche de la belle saison.

Aux photographies prises entre l’Espagne et l’Italie j’ai ajouté des images de littoraux bretons, après avoir fait la lecture d’un récit de Guy Boucher dans Histoires extraordinaires de l’île de Batz (2016) où le mythe fondateur de l’île – l’expulsion du dragon – est relié aux problèmes et conséquences du changement climatique (cf. Nathalie Gallon, ‘’Le dragon de l’île et les monstres marins’’, 9 Lives Magazine, janvier 2024).

Nous vivons une époque de grande confusion. Nous entrons déjà dans le sea-change. Du désastre nous serons sauvés par nos monstres mêmes, si nous savons les reconnaître.
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Histoire des monstres 22, Marinella di Sarzana-Vituli marini.
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Histoire des monstres 23, San Terenzio-Rosmarus bellua.
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Histoire des monstres 24, Nisida-Orobonis Piscis.
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Histoire des monstres 25, La Bufalara-Aper Marinus.
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Histoire des monstres 27, Batz-Orca Balaenam.
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Histoire des monstres 28, Batz-Draco marinus.
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Histoire des monstres 29, Batz-Raia exiccata.
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Histoire des monstres 32, Aigues Mortes-Monstrosus Cyprinus.
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Histoire des monstres 33, Mèze-humana facie.
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Histoire des monstres 34, Marinella di Sarzana-Daemoniforme.
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Histoire des monstres 35, Vado Ligure-Andura piscis.
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Histoire des monstres 21, La Spezia Fincantieri-Niliaca parei.
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Sea-change is the expression that, since Shakespeare, indicates a radical change, a reversal of situation, a profound transformation. A few years ago, I began a series of works on the subject of metamorphosis, with Ulisse Aldrovandi’s human faces monsters  as iconographic support.
Shakespeare published The Tempest in 1611; Aldrovandi had died six years earlier, well before the publication of his Historia Monstrorum (Bononiae 1642).
Of all the more or less fantastic creatures listed by the Bolognese naturalist, I chose sea monsters. I imagined them washed ashore, like the migrant boats in the Mediterranean. I also like to think that the only inhabitant of the island where Prospero was stranded, Caliban, half-man half-fish, could well be represented by one of the drawings by Aldrovandi’s engraver, Giovanni Battista Coriolano.
I wondered whether the other, the foreigner, the abnormal, was the one who arrived from unknown worlds, or whether there wasn’t already something monstrous in the very gaze cast upon him. In the very act of designating the other as a monster, it’s the monster in us that speaks.

In September 2023, invited to the closing ceremonies of the Rencontres Méditerranéennes in Marseilles, Pope Bergoglio spoke of how the Mediterranean Sea was in danger of becoming a sea of the dead: “And then there is a cry of pain that resounds more than any other, and which transforms the mare nostrum into a mare mortuum, the Mediterranean, the cradle of civilization, into the tomb of dignity. It is the muffled cry of migrant brothers and sisters…”.
On December 19, 2023, these same statesmen to whom the pope was addressing were passing an anti-immigration law that won’t even guarantee the continuation of their power.
The change of title of my series comes from historical contingency: from Histoire des monstres to Mostrum nostrum, “our” monster.

In the winter of 2024, I drove along the coast of the “Middle Sea”, from Port Bou to Vietri sul Mare, south of Naples.
I photographed places I already knew in summer light. These shores look very different in winter. They are transformed by autumn storms, with all the debris and wrecks that cover them and are cleaned up as summer approaches.

To the photographs taken between Spain and Italy I added images of Breton coastlines (Finistère), after reading a story by Guy Boucher in Histoires extraordinaires de l’île de Batz (2016) where the founding myth of the island – the expulsion of the dragon – is linked to the problems and consequences of climate change (cf. Nathalie Gallon, ”Le dragon de l’île et les monstres marins”, 9 Lives Magazine, January 2024).
We are living in a time of great confusion. We are already entering the sea-change. We will be saved from disaster by our own monsters, if we learn how to recognize them.