Ce dernier travail de la série Fenomeni morbosi svariati en est une synthèse. J’ai condensé en un tableau tous les éléments qui constituaient le triptyque, à l’exception des grillons de Baltrusaitis qui étaient ici superflus.
La série comprenait trois reproductions de scènes du Miracle de l’hostie consacrée de Paolo Uccello (Galerie nationale des Marches d’Urbino), sur les six qui composent la prédelle, en transparence sur des fonds provenant d’archives historiques italiennes, en particulier le Casellario Politico Centrale conservé à l’Archivio Centrale dello Stato à Rome.
Les fonds étaient : la transcription manuelle d’une lettre saisie à un détenu des prisons fascistes en 1929, que j’ai transcrite en 1979, quand je fréquentais quotidiennement les Archives pour mes recherches sur le mouvement ouvrier romain ; la photo signalétique d’Antonio Gramsci de janvier 1935, que j’ai transformée sur Photoshop en un logo à la Che Guevara ; la reproduction de la première page de l’index informatisé du Casellario, sous l’intitulé “Prisonniers politiques” ; un autre élément d’arrière-plan était la reproduction d’un panneau du Moyen Âge fantastique de Jurgis Baltrusaitis, ouvrage que j’ai acquis en 1979 comme documentation pour mon étude du panneau de Paolo Uccello, étude que je n’ai finalement jamais achevée.
En ce qui concerne le premier plan de mon triptyque : je suis bien conscient d’avoir parasité la beauté de la peinture d’Urbino, c’est d’ailleurs ce qui à l’époque m’avait poussé à l’étudier et à y entrer ainsi d’une manière moins intrusive qu’aujourd’hui.
La prédelle de Paolo Uccello, exécutée en 1467-1469 sur la commande de la confrérie du Corpus Domini, s’inscrivait dans un programme de création des Monts de Piété, ainsi que d’affirmation du récent dogme de la transsubstantiation, qui nécessitait des représentations fortement antisémites (voir, entre autres, les essais de Marilyn Aronberg Lavin (1967) et de Jean-Louis Schefer (2007).
Dans ce travail de synthèse j’ai reproduit sans la modifier la photo signalétique de Gramsci et j’ai transcrit au pastel gras le message de l’antifasciste romain, respectant ses fautes de grammaire : ‘’Nous autres les camarades nous sommes tous isolés nous attendons le moment qu’un peu de lumière nous soit éclairée que maintenant nous vivons dans les ténèbres’’.
Dans l’imagerie des ténèbres et de la lumière, je ne peux ne pas penser aux persécutions religieuses. Aussi, je suis touché par l’expression, pourtant banale, ”noialtri” employée par le camarade Candido de Manziana. Curieusement, les traducteurs automatiques donnent, en français, ” le reste d’entre nous”. Peut-être, par un aléa informatique, y retrouve-t-on quelque vérité : ‘’ce qui reste de nous’’ dans un temps de ténèbres. Mais je me plais à le traduire, en forçant un peu bien sûr : ”nous les autres”, les autres en nous.
Je dis ailleurs (‘’I mostri di Gramsci’’) comment, plutôt que dans un ‘’entre nous’’, je pourrais peut-être envisager de me reconnaître dans une ‘’humanité commune’’, à laquelle font appel La Cimade et Edwy Plenel, au lendemain de l’adoption par l’assemblée nationale d’une loi contre l’immigration qui sera une date historique (19 décembre 2023).
La scène de Paolo Uccello ici reproduite est la deuxième, celle où l’usurier juif, qui s’acharne sur le corps du Christ, est découvert et arrêté par les milices de la ville.
Fenomeni morbosi ter 02, 24×42, 2023.
L’espace entre ténèbres et lumière de l’Histoire, ce n’est malheureusement pas l’interrègne entre vieux et nouveau monde dont parle Gramsci (le ‘’clair-obscur’’ d’une anonyme traduction française). Et les ‘’phénomènes morbides’’ n’ont pas à surgir puisqu’ils sont déjà entre nous et en nous. Mais on ne peut pas s’abstenir d’en appeler à ‘’un peu de lumière’’, un peu de raison. Juste un peu.
Note. La phrase originale de Candido : ‘’Noialtri compagni semo tutti isolati aspettiamo il momento che ci venga rischiarata un pò di luce che ora vivemo nelle tenebre’’.
Les réflexions qui ont amené à ce travail :
I mostri di Gramsci
et le triptyque qui en est dérivé :
Fenomeni morbosi svariati