Des intrus chez les Etrusques (2016)

Un portfolio contenant un texte introductif, six estampes numériques sur papier offset 350 gr. et sept textes sur papier calque Translucents 140 gr. Format 15×15.
Tirage d’art limité à 50 exemplaires, signés et numérotés. Prix : 65 € port inclus.

00 Tarquinia B copertina bd

Au début, l’Antiquité a été pour moi une bouche d’amphore affleurant sur un fond sablonneux guère plus profond que trois mètres. Je m’y approchais avec le trident au sommet duquel j’avais noué un chiffon blanc. Les poulpes sont attirés par ce qui est blanc et sortent de leur tanière pour se jeter sur la proie : c’est alors le moment de les harponner. Il s’agit d’une technique de chasse sous-marine simple et fructueuse.
Je devais aller sur mes quinze ou seize ans. Le fond marin était celui de Porto Clementino, sur le littoral de Tarquinia. Je n’avais pas encore vu les tombes peintes.
Une fois je remontai à la surface un gros poulpe avec toute sa douillette demeure et, quand on me parla d’un personnage qui payait jusqu’à vingt-mille lires pour une amphore romaine intacte, je m’intéressai à d’autres fonds, face au camp militaire de Pian di Spilli, où je trouvais, sous 6 m de profondeur, des vases du type Dressel 1A ou 1B. Avec une drisse et un cylindre en caoutchouc j’avais bricolé un treuil rudimentaire et je pouvais m’en sortir tout seul.
L’hiver suivant, presque tous les dimanches je louais une moto de cross et avec un ami on sillonnait les gorges autour de Blera, à la recherche de tombeaux étrusques. On n’était pas les premiers à y entrer, mais on en sortait toujours avec quelques fragments de bucchero ou de céramique grecque peinte.
En février 1971 il y eut le tremblement de terre de Tuscania. Avec trois compagnons on chargea la voiture d’une pelle trouvée dans le garage et on partit donner un coup de main. On logeait dans des tentes de l’armée et le soir, on se réchauffait avec le « cordial » à 50° que les sous-officiers nous distribuaient dans des pochettes en plastique. Pendant la journée on déblayait les rues du centre ville obstruées par les décombres. Parfois, avançant au ras des murs, on rentrait dans les appartements éventrés : s’éparpillaient au sol des photographies de famille sorties de leurs boîtes à chaussures, ainsi que des bibelots et des napperons couverts de gravats.
Je vis les sarcophages étrusques alignés autour de la place Basile ; les défunts étaient tous décapités, mais par les tombaroli, pas par les secousses. Je vis aussi l’abside mutilée de la plus belle église au monde : la basilique romane de San Pietro. Mais s’agit-il d’un souvenir vrai ou d’images mêlées car des églises écroulées j’en ai vues tant, en Irpinia et en Ombrie aussi, après d’autres tremblements de terre?
Plus tard, à l’université, je me destinais à une carrière d’étruscologue quand l’obligation de passer un examen d’allemand détourna ailleurs mon attention. On en était aussi au plus beau des rixes quotidiennes entre les étudiants proches du journal Il Manifesto, dont j’étais, et les « Sturmtruppen » de l’Autonomia organizzata.
Dans la vie j’ai fait d’autres choses mais je suis toujours revenu aux tombeaux de Tarquinia. Je dirais même que je les visite plus fréquemment que celui de mes parents (qu’ils ne m’en veuillent pas, eux, et l’autre non plus).
J’ai été à la nécropole de Monterozzi quand toutes les tombes étaient encore accessibles. Puis, lorsqu’elles ne le furent que par roulement, et à l’heure actuelle, où elles ne sont visibles que derrière les vitres blindées qui en scellent l’entrée. Et quand je reviens dans la Tuscia, il m’arrive de laisser femme et enfants dans la voiture et de m’échapper une dizaine de minutes pour en revoir une ou deux.
L’écrivain britannique D. H. Lawrence (1885-1930) en visita peut-être deux douzaines, en un après-midi et une matinée du mois d’avril 1927, et en décrivit quinze dans Etruscan Places, oeuvre posthume parue en 1932. Leurs peintures consisteraient en la représentation de la joie de vivre et de l’hédonisme étrusques en opposition avec l’austérité et le militarisme romains ; son interprétation était une critique implicite du régime mussolinien, qui de la puissance romaine se voulait l’héritier.
Certaines des sépultures où je suis revenu récemment avaient été décrites par Lawrence. J’en commenterai l‘iconographie à ma façon.

Spuglia Boas EtruscanTarquinia B 00. Un peu à l’étroit sous le plafond trop bas du tombeau numéro 3713, Franz Boas mime, pour les scénographes du National Museum of Natural History, la cérémonie de l’hamatsa, la soi-disant danse cannibale des Kwakiutl de Colombie britannique. C’est à New York en 1895. Un peu mal à l’aise dans leurs habits rouge pourpre délavés par le temps, neuf danseurs de Tarchna l’accompagnent au son du tambourin, au IVe siècle a.C.

 

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Tarquinia B 01
. Sur le seuil du tombeau de la Chasse et de la Pêche un poète Inuit scande sa chanson de duel sur le tambour en peau de phoque, tandis que les deux coépouses d’Aykutok s’esclaffent devant l’objectif de William Thalbitzer, à Ammassalik, l’été 1903. Un jeune étrusque chasse les oiseaux à coups de fronde, un autre plonge, d’autres dansent ou jouent. “Here is the real Etruscan liveliness and naturalness”, aurait dit Lawrence.

 

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Tarquinia B 02
. Les deux Carontes multicolores qui surveillent la porte des Enfers ont des compagnons : des Aïnou, représentants d’une minorité ethnique habitant l’île japonaise d’Hokkaïdo. L’anthropologue « scientifique » qui les avait photographiés, auteur en 1940 de l’utile opuscule Comment reconnaître et expliquer le Juif ?, fut abattu par la Résistance française en 1944 et se trouve sûrement en enfer.

 

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Tarquinia B 03. Dans le tombeau des Lionnes un festin est en cours : on danse, on joue de la flûte, on prépare des boissons enivrantes. Les dauphins sautent dans une mer livide tandis qu’un chasseur groenlandais se place près du trou qu’il a creusé dans la glace. Bientôt un phoque remontera à la surface pour respirer. Sur la paroi de droite un homme détendu « holds up the egg of resurrection », tient levé l’œuf de la résurrection.

 

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Tarquinia B 04. Dans la chambre de la Fleur de Lotus des guerriers Hopi s’exhibent pour Aby Warburg dans leurs danses traditionnelles, en 1896, au Nouveau Mexique, tandis qu’un jeune Ona de Patagonie, photographié par le missionnaire Martin Gusinde, quelque part au début des années 20, redresse sa coiffe avant d’accomplir son rituel phallique. Le mur du fond est nu et offre aux personnages une scène sobre et accueillante.

 

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Tarquinia B 05. Le tombeau du Chasseur est orné comme un pavillon de chasse et ses parois sont parcourues à la queue leu leu par des lions, des taureaux, des cerfs, des chiens et des chevaliers. Dans cet espace se sont réunis plusieurs types de Chinois. Ils se montrent de face et de profil mais ils sont presque méconnaissables, leurs traits somatiques se confondant avec les motifs en échiquier du plafond et en pointillé des murs.

 

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Tarquinia B 06. Dans la tombe des Jongleurs une jeune fille maintient en équilibre sur sa tête un candélabre et un garçon essaye d’y empiler des soucoupes. Le défunt, assis sur la droite, les observe. Deux notables Kwakiutl posent dans leurs habits d’apparat, en l’été 1904. Au cours du rituel plotlatch ils briseront des plaques de cuivre et distribueront des couvertures et des assiettes anglaises, sans en attendre de retour.

 

Etruscan Places fascetta