Entretien Puglia-Balaÿ, novembre 2009

Salvatore Puglia, Dominique Balaÿ octobre 2009

DB : WebSYNradio propose aux artistes les archives d’UBUWeb comme point de départ : tu les a explorées d’une façon particulière,  peux tu nous faire part de ce  que tu y as trouvé, et qui ?

SP : J’avais auparavant collaboré, de manière ponctuelle, avec des amis musiciens (Rodolphe Burger, Philippe Poirier) pour des pochettes ou des installations. Une fois ou deux ils ont enregistré ma voix et ils en ont fait ce qu’ils ont voulu (voir: Tota’s Tongue de Poirier). Trois ou quatre fois j’ai donné des textes pour des chansons (toujours aux mêmes amis).
Les archives Ubu sont un outil incroyable. J’y ai cherché (et trouvé) les poètes sonores que j’admire (Bernard Heidsieck, Arrigo Lora-Totino) et surtout Demetrio Stratos, dont la rumeur disait en 1979 qu’il était mort à cause des médicaments qu’il prenait pour entretenir et pousser sa voix à des registres jamais atteints.

DB : Tu es cependant rapidement sorti des archives UBU pour nous proposer un ensemble de titres à la coloration très Italienne (E .Morricone) et amicale (R.Burger). Peux-tu expliquer ta sélection ?

SP : Amicale, d’abord, puisque nous sommes fait de l’étoffe dont les amis nous habillent. Mais chez R. Burger j’ai choisi les morceaux les plus poussés dans le sens de l’improvisation et du « bricolage », qui sont ceux de lui que je préfère. Par ailleurs, Burger et Poirier (avec entre autres Yves Dormoy) avaient crée à Strasbourg, au début des années 80, quand je les ai connus, un groupe de « jazz-rock », Oeuvre complète, inspiré par Wilhelm Breuker et les Westbrook, qui a peu vécu et que je regrette beaucoup.
Les morceaux de (ou avec) Demetrio Stratos que j’ai choisis ne couvrent meme pas une dizaine d’années, celles de mon adolescence et de mes vingt ans. Ce laps de temps, assez court, est d’une grande densité. Stratos en est pour moi l’emblème. De la musique pop, aux chansons engagées, au rock progressif, aux expérimentations vocales, il a été toujours loin avant. En ces mêmes années on voyait les films de Fellini et de Sergio Leone (ce dernier, pour se divertir, sans en percevoir le coté subversif), on écoutait le rythme and blues et, pour les plus « maudits » d’entre nous, Iggy Pop. On allait à des concerts gratuits, dans des vallées en Ombrie, par milliers, comme une tribou nomade, pour écouter Carla Bley et Miles Davis. J’ai voulu rendre compte de tout ça ; c’est un peu la colonne sonore d’une éducation en même temps esthétique et politique.

DB : La revue Droit de Cités qui héberge la radio a une vocation philosophique affirmée, du point de vue du profil de ses fondateurs et de ses animateurs, mais aussi de ses enjeux et de ses questionnements et ton travail a été reçu par les philosophes (le texte de Jacques Derrida « Sauver les Phénomènes, Pour Salvatore Puglia » http://spuglia.free.fr/derrida.html, la belle méditation de Philippe Lacoue Labarthe sur le plomb …). Peux tu nous préciser – ce qui intéressera certainement les lecteurs de Droit de Cités autant que les auditeurs de websynradio – quel est ton rapport à la philosophie et à l’histoire ?

SP : Mon rapport à la philosophie est en premier lieu en tant que sujet. C’est à dire que des philosophes (et je dois ajouter à ces deux noms ceux de Cadava, de Fynsk et de Loayza, et celui d’une sociologue, Lapierre) ont été amenés à écrire sur mon travail. Je ne connais pas la raison de ça. Moi-même, je viens du monde de l’écrit, mais j’étais un historien, par engagement, plutôt qu’un « penseur ». Et c’est par la pratique de l’histoire que je suis passé au visuel. J’ai commencé par subtiliser dans les archives tous ces petits papiers qui se glissent dans les fichiers, qui ont servi pour essuyer les plumes ou pour y accueillir des croquis distraits. Je faisais, dans mes heures de loisir, des montages de tous ces papiers, que je ne montrais pas. Un jour j’ai constaté l’insuffisance (ou le manque de passion) de ma recherche en histoire, et les montages sont devenus des tableaux d’abord et des installations ensuite. Une certaine critique du médium photographique, dans sa relation à la mémoire, m’a enfin autorisé à l’utiliser, ce médium, avec une relative liberté, ce qui m’a valu d’être adopté, en France, dans les années 90, dans la mouvance de la « photographie plasticienne ». J’imagine que la relation à l’écrit doit être évidente dans mon travail, et ça doit être la raison pour l’intérêt que des écrivains y ont portés. Et puis, encore une fois, l’aspect amical, le passage d’ami à ami. Mon attitude face à l’archivage, enfin : elle est en même temps de respect et de méfiance. Je sais par expérience combien les archives sont aléatoires et velléitaires, si on les regarde dans un effort de reconstruction d’un monde. Mais je connais la valeur, pour l’imagination et pour la création, de ces bribes sauvés du cataclysme, de ces bouts d’outils déterrés, dont on peut s’appliquer à construire une prolongation hasardeuse.

DEMETRIO’S TONGUE

J’aimerais nommer cette liste Demetrio’s Tongue. Elle est dédiée à ce chanteur grec d’Alexandrie, formé culturellement et politiquement en Italie, passé de la musique pop aux expérimentations vocales et à l’enseignement universitaire, mort à New York d’une maladie du sang, à l’âge de trente-quatre ans, la veille d’un grand concert en son honneur à Milan.
S.Puglia

1/
Playliste – Salvatore Puglia
2/
Time After Time – Miles Davis
3/
Complainte De La Seine – Marianne Faithfull
4/
What Keeps Mankind Alive – Tom Waits
5/
What Keeps Mankind Alive –  W.Burroughs
6/
Pugni chiusi – I Ribelli
7/
Gioia e Rivoluzione  – Area & Demetrio Stratos
8/
Dio è morto  – Nomadi
9/
La Dolce Vita –  Nino Rota
10/
Giu’ La Testa – Ennio Moricone
11/
When a Man Loves a Woman – Otis Redding
12/
Fellini  – Rodolphe Burger
13/
C’est dans la Vallée –  Rodolphe Burger/OlivierCadiot
14/
Tante Elisabeth – Rodolphe Burger/OlivierCadiot
15/
I am a Passenger –  Iggy Pop
16/
Sentire – Philippe Poirier/Salvatore Puglia
17/
Princesse mandchoue – Philippe Poirier
18/
Aphrodite’s Lizard – Kat Onoma
19/
Story Tellers – Yves Dormoy /Rodolphe Burger
20/
Gagarine  – Yves Dormoy /Rodolphe Burger
21/
Tota’s Tongue – Philippe Poirier/Salvatore Puglia
22/
O Tzitziras o Mitziras – Demetrio Stratas
23/
Evaporazione –  Demetrio Stratos